Galaxie 126 by Collectif

Auteur:Collectif [Collectif]
La langue: fra
Format: epub
Tags: SF
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Présences devant toi. Des yeux fixés sur toi. Présences nombreuses, muettes et curieuses. Des corps indistincts dans de longues robes blanches. Des yeux dans des visages coupés par le litsam qui cache la bouche. Présences jeunes mais mystérieuses. Les yeux sont fixes, brillants, mais indéchiffrables, et la bouche se cache. Présences hostiles ? fermées.

Tu parles dans ta langue, et tu veux qu’elles comprennent, ces jeunes indigènes. Tu dois leur faire comprendre ce que tu dis dans ta langue, il faut même qu’elles parviennent à te répondre dans ta langue : tu es là pour ça. Mais tu attends en vain une réponse dans ta langue, une petite phrase, un mot : nulle voix, nul souffle ne fait frémir les voiles légers. Tu guettes en vain une lueur de compréhension dans tous ces yeux qui te regardent, vifs et durs. Pour l’y voir, tu enfreindrais bien la règle et leur expliquerais les choses dans leur langue… si tu en savais le moindre mot !

Tu recommences au début, tu articules soigneusement, tu parles lentement, tu choisis les mots les plus simples, tu fais de grands gestes pour mimer ce que tu dis : « Toi ! » (index tendu), « Moi ! » (bras replié), « Vous ! » (index braqué à répétition), « Nous ! » (grand cercle du bras), « Je suis ici ! » (index vers le sol), « Nous sommes ici ! » (grand carré du bras), « Je suis un homme ! », « Vous êtes des filles ! » (quel geste qui ne soit obscène ?). Tu transpires, tu te sens fiévreux, tu dois être tout rouge, tu dois leur sembler grotesque.

Mais elles ne peuvent pas ne pas avoir compris ? Tu demandes : « Qui suis-je ? » Pas de réponse. « Où suis-je ? » Rien. Sont-elles sourdes à toi, aveugles à toi ? Refusent-elles ta parole, l’existence de ta langue, de ton pays, ton existence ? Ces yeux fixes voudraient-ils te fixer dans la mort ?

Ton regard est attiré par des yeux sombres, presque violets, au fond. Ils te rappellent d’autres yeux, à la courbe fascinante et cruelle aussi. Est-ce la même haya que celle qui n’avait pour toi que des yeux et trois points rouges sur le front ? Celle-ci a le haut du visage bistré et mat, et des cheveux tirés en un gros chignon sur la nuque, bruns sans doute, mais presque orange à cause des reflets de l’alkanet. Quelques mèches échappées adoucissent le front lisse et net, et les cils très longs donnent l’impression d’un regard plus doux que les autres. Tu as l’impression de la connaître un peu déjà (est-ce elle ? peu importe !).

Alors, c’est à elle personnellement, index tendu, regard braqué, mais presque suppliant, que tu poses la question, et non plus à l’ensemble de la classe : « Qui es-tu ? »

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